Marie-Antoinette, biographie fictive de la reine putain

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     Qu’on l’adule ou la déteste, Marie-Antoinette, dite reine des outrages, de tous les excès ne cessera jamais de faire parler d’elle. Épouse du roi de France, on l’accuse de vivre de tout ce que la Révolution abolit. Objet de pamphlets et de caricatures, ces représentations forgent un imaginaire : celui d’une femme horrible qu’il faut à tout prix guillotiner. À travers ces portraits distordus et fantasques, nous vous proposons de découvrir ce que les révolutionnaires ont fait d’une figure qui incarne l’Ancien Régime. 

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.»

Avant même la Révolution, la reine de France est déjà le sujet de nombreuses caricatures. Le corps royal est un corps public, il appartient à l’Etat. L’anatomie et l’intimité de l’épouse Capet font alors couler l’encre. Après quatre ans de mariage, en 1778, le couple royal n’a pas encore donné d’héritier. Inquiet pour le futur du royaume, les sujets de la Cour spéculent sur la sexualité des jeunes mariés. Face à un roi sans libido et obsédé par les serrures (sa passion), se brosse le portrait d’une reine catin capable de ce qu’on juge être les pires luxures. Dans son trianon, dépendance du château de Versailles mais surtout bordel en plein milieu du lieu de pouvoir royal, elle tient de nombreuses orgies dans lesquelles on retrouve des membres de la Cour. Trop proche de son amie la Lamballe, Princesse de Savoie, elle est lesbienne. Ses pratiques déshonorent alors ses fonctions de reine de France, par la grâce de Dieu. Hypersexualisée, on l’incrimine au moment de son procès, en 1793, d’entretenir des relations incestueuses. La reine est par exemple accusée de coucher avec son propre fils, raison de plus pour la condamner.

Derrière ces rumeurs se cachent de véritables messages politiques. Incapable de “tenir le sexe de sa femme”, comment Louis XVI peut tenir un royaume ? Le comte de Provence, frère du roi et prétendant au trône, fait également circuler ces rumeurs. Les enfants royaux sont-ils véritablement légitimes avec une mère si libertine? Ces caricatures de la reine s’intensifient au moment de la Révolution, au moment où la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen garantit la liberté d’expression.

Fureurs utérines de Marie-Antoinette ; Le Triomphe de la fouterie, 1791 BNF.

La fin de l’abondance?

Outre ses pratiques sexuelles, c’est tout le mode de vie de Madame déficit qui exaspère les sujets du royaume. Dans un contexte révolutionnaire, à un moment où la famine pèse sur les Français et où le royaume fait banqueroute, le faste de la reine est jugé indécent. S’ensuit alors toute une iconographie moquant la Reine. On la représente par exemple avec des coiffures exubérantes confectionnées par le célèbre Léonard. On la critique aussi pour ses tenues luxueuses, cousues par Rose Bertin. Elle organise également à Versailles de grandes soirées pour satisfaire son addiction aux jeux d’argent. Lors de ces dernières, elle dépense ainsi tout l’argent du royaume à des fins personnelles. Elle puise même dans la cassette personnelle de son époux, énième preuve de la faiblesse du roi. Dépensière, on la charge à tort d’être la principale voire l’unique responsable de la crise financière. Plutôt que coupable, la Reine est plutôt le symbole du décalage existant entre la Cour et le reste du royaume. Actuellement, les historiens s’accordent à expliquer la crise financière de la fin du XVIIIe siècle principalement par les guerres des précédents souverains.

Ridiculous taste or the ladies absurdity - ANONYME FRANCAIS, Musée du Louvre, Département des Arts graphiques, 5782 LR/ Recto.

La Révolution, la faute à qui ?

Enfin, on accuse la reine de France d’être la principale responsable des troubles politiques du royaume. À l’instar des pratiques sexuelles du couple, ce sont aussi les rôles politiques qui sont inversés. Le roi est soumis à une femme qui organise la fuite à Varennes, le 21 juin 1791, contraignant ainsi son mari à quitter le royaume. Membre active de ce plan d’évasion, la reine n’a cependant pas pu organiser seule cette trahison. À partir de 1788, son rôle politique s’intensifie, elle assiste par exemple au Conseil du roi. Bon nombre de caricatures la mettent alors en scène tenant le roi par une corde. Elle le manipule. À un moment où le roi reste une figure sacrée dans le royaume, il est plus simple de s‘en prendre à sa femme, qui plus est, considérée comme une étrangère. C’est là un des derniers thèmes récurrents des caricatures de la reine. Le XVIIIe siècle est marqué par l’apparition progressive du sentiment national. Le peuple supporte mal qu’une étrangère, l’AutruChienne, se mêle à la politique du royaume. On soupçonne la reine de conspirer et de divulguer des informations secrètes avec les monarchies voisines, en premier chef l’Autriche. Targuée d’anti-révolutionnaire, on la tient pour complice lors de l’intervention de l’armée autrichienne en 1792, pour canaliser la Révolution. Des caricatures d’elle en harpie déchirant la Constitution se propagent alors dans l’espace public.

La Poulle d'Autry/uche : je digere l'or largent avec facilitée mais la Constitution je ne puis lavaler : [estampe] / [non identifié], BNF, 1791-1792.
Marie-Antoinette en harpie déchirant les Droits de l'Homme et la Constitution, Anonyme, après 1791, Musée Carnavalet - Histoire de Paris.

Destin et postérité de la feue frivole

Figure politique clivante, la veuve Capet est présentée comme la bouc émissaire de la Révolution. Dépensière et actrice d’un système qui n’est plus acceptable, elle est surtout le symbole de l’Ancien Régime que les Français ne supportent plus. Sa tête coupée, le 16 octobre 1793, ne marque pas la fin de son histoire. Le XIXe siècle continue de moquer son exubérance et surtout ses coiffures. En 1898, lorsque Sissi l’impératrice est assassinée, le parallèle avec la défunte est vite tracé et ironisé. Ça n’est qu’au tournant du XXIe siècle qu’on forge à l’éternelle caricaturée une nouvelle réputation. À travers son film Marie Antoinette, sorti en 2006, Sofia Coppola fait peau neuve à la reine, proposant le portrait d’une femme de goût, sensible et prise dans un tourbillon politique et social qui la dépasse. De la haine à l’amour il n’y a qu’un pas. De coupable à victime, l’imaginaire autour de Marie-Antoinette n’a pas fini de se réinventer.

 

Crédit image : © extrait de Marie-Antoinette, Sofia Coppola, Columbia Pictures, 2006.

Pour aller plus loin :

Chantal Thomas, La reine Scélérate, 1989, Point seuil.

Annie Duprat, Ah le maudit animal, 2014, Annales Historiques de la Révolution Française.

Stefan Zweig, Marie-Antoinette, 2012, Grasset.

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