Gothic Fiction, l’ombre littéraire derrière Halloween

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       Au XVIIIᵉ siècle, frissons et mystères captivaient déjà. Avides de récits macabres et intrigants, les lecteurs se sont tournés vers la Gothic Fiction. Que doit notre mode actuel de célébration d’Halloween à ce genre littéraire ?

Quand la littérature faisait de la peur une esthétique

Née à la fin du siècle sur les îles britanniques, avec The Castle of Otranto d’Horace Walpole (1764), la Gothic Fiction (ou littérature gothique) a donné naissance à une esthétique sombre et fascinante, où les émotions humaines se mêlent au surnaturel. Ses héritiers — Mary Shelley avec Frankenstein (1818), Bram Stoker avec Dracula (1897) ou encore Emily Brontë — ont façonné une atmosphère angoissante, faite de passions interdites et de ruines hantées.

Ce genre se reconnaît à son style marqué par l’exagération des sentiments. Suspense, transgression et sublime sont également plébiscités par les auteurs gothiques. Les contrastes s’y multiplient : la raison contre la folie, la vie contre la mort, la beauté contre la terreur. Le cadre, décrit en de frissonnants détails, y joue un rôle essentiel : châteaux, monastères, cimetières… Les lieux du récit, en tant que véritables personnages symboliques de la décadence et du secret, sont autant de topos qui influencent encore aujourd’hui notre imaginaire.

Le « gothique », synonyme d’inquiétant : l’histoire derrière le mot

L’appellation Gothic Fiction trouve ses racines dans une évolution historique complexe. L’adjectif gothique apparaît d’abord à la Renaissance. Utilisé par les intellectuels de l’époque, il désignait tout ce qui leur semblait médiéval et « barbare », en opposition à l’idéal classique de l’Antiquité. De plus, l’étymologie du terme lui-même fait référence aux Goths, peuple germanique qui s’était illustré lors des grandes invasions en Europe de la fin de l’Antiquité. Leur nom est resté associé à la brutalité et à l’éloignement des idéaux classiques.

Avant d’être étendu à la littérature, le mot désignait un style architectural, caractérisé par ses voûtes en ogive, ses arcs-boutants et ses façades imposantes. Les bâtiments gothiques, sombres et richement ornés, symbolisaient pour les esprits de la Renaissance une époque jugée reculée et inquiétante.

Alors, lorsque la Gothic Fiction apparaît au XVIIIᵉ siècle, elle hérite de ce vocabulaire chargé de connotations : elle incarne l’inconnu et la peur. Son nom reflète donc à la fois l’esthétique des lieux (souvent médiévale), la notion de danger et de barbarie, et l’atmosphère inquiétante qui caractérise ces récits.

Un courant littéraire du XVIII siècle qui a inspiré nos monstres modernes

La Gothic Fiction ne se limite pas aux monstres physiques. Elle explore également les êtres surnaturels, comme les fantômes et spectres, qui hantent les châteaux et les manoirs, ou encore les monstres psychologiques, incarnés par des personnages tourmentés dont les passions et les obsessions deviennent destructrices. Ces figures sont conçues pour créer une atmosphère de suspense et de fascination, plutôt que pour susciter une peur superficielle et éphémère. Captiver le lecteur demande du style ; la terreur ne doit pas être stérile de réflexions ni d’analyses psychologiques.

Ainsi, les monstres de la littérature gothique sont multiples : certains terrifient par leur apparence (Frankenstein ou Dracula), d’autres par leur comportement (Ambrosio, corrompu par ses désirs et péchés, dans The Monk, ou Heathcliff, incarnation de la passion destructrice chez Brontë), et d’autres encore par leur simple présence mystérieuse (les spectres dans The Castle of Otranto ou The Mysteries of Udolpho). Même les lieux peuvent devenir des monstres symboliques : les châteaux en ruine ou les maisons délabrées, parfois hantés par des passés familiaux troubles, dont l’ombre et le silence participent à l’angoisse des personnages.

L’horreur que suscitent ces personnages est mêlée à la beauté et au romantisme, donnant naissance à une peur esthétique, une peur que l’on peut contempler, analyser et apprécier. Les monstres de la Gothic Fiction, symboles fondateurs de notre culture populaire, nous hantent encore chaque 31 octobre, à travers costumes, films et décorations.

Des châteaux hantés aux rues décorées : la Gothic Fiction, l’âme littéraire d’Halloween

À ce stade de l’article, vous devez être convaincus que Gothic Fiction et Halloween partagent un univers commun. Née des traditions celtiques de Samhain, la fête célèbre à l’origine la frontière entre le monde des vivants et celui des morts. Récupérée et transformée par la culture américaine, elle permet désormais à petits et grands de jouer à se faire peur.

Les manoirs familiaux isolés ne sont plus que de fausses maisons hantées. L’atmosphère sombre et mélancolique des romans a laissé place à une ambiance festive et commerciale. La réflexion sur la mort et l’inconscient ne se résume plus qu’à un rapprochement symbolique avec le monde des morts. L’exploration de la peur et de la passion chère aux auteurs gothiques est devenue une célébration ludique — et artificielle — de la peur. En somme, Halloween peut être vue comme une version populaire et festive de cet imaginaire littéraire.

Ainsi, des maisons hantées aux films d’horreur, en passant par les costumes traditionnels de la fête, nous ne sommes que les héritiers des codes gothiques de la terreur. La Gothic Fiction n’a pas seulement inspiré Halloween : elle lui a donné son âme esthétique et psychologique. Derrière chaque costume de vampire ou chaque maison décorée, il reste un peu du souffle romantique et tourmenté de cette littérature. Car avant d’être une fête, Halloween est une expérience gothique, une nuit où la beauté et la peur marchent main dans la main.

Les lectures incontournables de la Gothic Fiction :

Horace Walpole, The Castle of Otranto (Le Château d’Otrante), 1764

Ann Radcliffe, The Mysteries of Udolpho (Les Mystères d’Udolpho), 1794

Matthew Lewis, The Monk (Le Moine), 1796

Mary Shelley, Frankenstein (Frankenstein ou le Prométhée moderne), 1818

Edgar Allan Poe, The Fall of the House of Usher (La Chute de la maison Usher), 1839

Emily Brontë, Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent), 1847

Joseph S. Le Fanu, Carmilla, J. S. Le Fanu, 1872

Bram Stoker, Dracula, 1897

 

Crédit image : Le Cauchemar, Johann Heinrich Füssli, 1781, huile sur toile, 101,6×127,7×2,1 cm, Detroit Institute of Arts (n° inventaire 55.5.A)

Pour aller plus loin

Alice M. Killen, Le Roman terrifiant ou Roman noir, de Walpole à Anne Radcliffe, et son influence sur la littérature française jusqu’en 1840, Paris, Georges Crès et Cie, 1915, 287 p.

Maurice Lévy, Le roman « gothique » anglais, 1764-1824, Toulouse, Publications de la Faculté des lettres et sciences humaines de Toulouse. Série A. 9, 1968, 751 p.

Élizabeth Durot-Boucé (préface de Maurice Lévy), Le lierre et la chauve-souris : réveils gothiques, émergence du roman noir anglais, 1764-1824, Paris, Presses Sorbonne-Nouvelle, 2004, 286 p.

Carol Margaret Davison, History of the Gothic : Gothic Literature 1764–1824, Cardiff, University of Wales Press, 2009

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