Figure de gloire et d’horreur, Gilles de Rais incarne l’un des destins les plus troublants du Moyen Âge. Maréchal de France et compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, il est pourtant l’un des premiers criminels en série documentés par l’Histoire. Comment ce seigneur respecté en est-il venu à périr sur le bûcher le 26 octobre 1440 ?
Orphelin à l’âge de 11 ans, Gilles de Rais grandit aux côtés de son grand-père, un homme puissant, qui privilégie volontiers la force au mépris du droit. Marié à la riche Catherine de Thouars (1404-1462), il devient, grâce à cette union, l’un des plus puissants seigneurs de l’Ouest. Ses prouesses militaires le mènent à la cour du roi de France, Charles VII, par l’intermédiaire de Georges de La Trémoille. Il combat aux côtés des armées de Jeanne d’Arc et participe à la fameuse bataille d’Orléans en 1429. Sa bravoure lui vaut le titre de maréchal de France, prestigieux grade d’officier militaire chargé des missions de commandement des armées royales et de juridiction. Mais la gloire est éphémère. Lorsque Georges de La Trémoille tombe en disgrâce, Gilles perd ses appuis à la cour et doit se retirer sur ses terres. Pour retrouver la faveur royale, il met en scène en 1434, une pièce de théâtre intitulée Le Mystère du siège d’Orléans, relatant la libération de la ville. Mais, malgré tout son faste, la pièce ne parvient pas à susciter le moindre intérêt du roi. Après une année de dépenses démesurées, Gilles se retrouve au bord de la ruine.
Des crimes atroces
Pour reconstituer sa fortune, Gilles de Rais décide d’avoir recours à une science médiévale : l’alchimie. Cette pratique repose sur l’usage des bons esprits et de métaux, pour créer une sorte de pierre philosophale, qui offrirait la vie éternelle et le pouvoir de transformer n’importe quel métal en or. Il invite un alchimiste italien, Francesco Prelati (1414-1446), venu tout droit de la cour des Médicis, à le rejoindre dans son château à Tiffauges.
Les deux hommes échouent leurs premières expériences. Francesco Prelati prétend que les bons esprits refusent de coopérer, et suggère d’invoquer les mauvais esprits, dont le diable lui-même, en sacrifiant des animaux. Mais une fois encore, les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’alchimiste affirme que les sacrifices d’animaux ne sont pas assez efficaces, et qu’il faudrait sacrifier des âmes pures : des enfants.
C’est à cette période que débute l’enchaînement de crimes atroces : enlèvements, viols et meurtres d’enfants. Les témoignages rapportent que plus de 140 enfants, garçons et filles, auraient été victimes de leurs expériences. Contemplant leurs souffrances, Gilles de Rais commet des actes sexuels sur les vivants comme sur les morts. Ses complices, hommes comme femmes, sont chargés de lui emmener les enfants, brûler les corps et disperser les restes. Mais de toute évidence, assassiner des enfants ne permet pas à Gilles de Rais de fabriquer de l’or.
Un coup de force qui déclenche sa perte
Pour pallier ce problème, Gilles de Rais est contraint de vendre une petite seigneurie, Saint-Étienne-de-Mer-Morte. Le jour de la Pentecôte, épée à la main, il fait irruption dans l’église, interrompt la messe et enlève le prêtre afin de reprendre par la force ce qu’il a vendu.
Ce coup de force déclenche sa perte. Le 15 septembre 1440, Gilles est arrêté et transféré à Nantes afin d’être jugé, non pour l’assassinat des enfants, mais pour ses pratiques frauduleuses. Le maître n’étant plus en son château, les langues se délient et la monstruosité du personnage éclate au grand jour. Les accusations formulées ne se cantonnent pas seulement aux disparitions et homicides, mais aussi aux crimes de sorcellerie et de sodomie, raison de l’intervention de l’Église.
Les juges rassemblent alors plus de 400 folios de témoignages et d’aveux prouvant sa culpabilité. Le maréchal finit par confesser ses crimes. Les détails fournis lors de ses aveux sont glaçants : il déclare conserver les plus belles têtes, ouvrir les corps afin de les contempler et s’asseoir sur le ventre des enfants mourants pour prendre plaisir à les voir agoniser.
Il n’est pas perçu comme un monstre sexuel
Si l’assouvissement sexuel sur les corps mutilés et l’indifférence du meurtrier à l’égard de ses victimes rapprochent Gilles de Rais des tueurs en série du XXIe siècle, ses contemporains ne le perçoivent pas comme un monstre sexuel. La lecture médiévale de l’affaire rappelle plutôt un triptyque classique : refus de l’ordre légitime, pacte avec le diable et actes contre nature. Ce qui est en cause lors du procès, ce n’est pas sa perversion, mais sa rébellion à l’égard de Dieu et du Duc.
Nombre de biographes ont tenté de plaider son innocence, défendant l’idée d’un complot orchestré par le duc de Bretagne et l’évêque de Nantes pour s’emparer de ses biens. Néanmoins, ces hypothèses sont peu crédibles : en 1440, sa fortune est déjà presque entièrement dissipée.
C’est ainsi que le 26 octobre 1440, Gilles de Rais, maréchal de France et meurtrier, décède à l’âge de 36 ans. Il incarne alors une figure aussi fascinante qu’effroyable du XVe siècle.
Crédit image : Eloi Firmin Féron, Gilles de Laval, sire de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc, maréchal de France (1404-1440), vue d’artiste, huile sur toile, Château de Versailles, 1835. [A noter que cette représentation est imaginaire, aucune représentation contemporaine de Gilles de Rais n’existe.]
Pour aller plus loin
Claude Gauvard, « 1. Gilles de Rais en procès », Les grandes affaires criminelles Du Moyen Âge à nos jours, Perrin, 2022. p.15-33.
Jacques Heers, Gilles de Rais, Jacques Heers, Paris, Perrin, 1994.
Eugène Bossard, (abbé), Gilles de Rais, maréchal de France dit Barbe-Bleue, Grenoble, Jérôme Millon, 1886 ; nouv. éd., préface de Jacques Chiffoleau, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2018.
Jacques Chiffoleau « Gilles de Rais, ogre ou serial killer ? », L’Histoire, no 335, octobre 2008, p. 8-16.

