Entre meurtres et mythe, sur les traces de Jack l’éventreur

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             Londres, 31 août 1888. À Buck’s Row, une ruelle sombre du quartier populaire d’East End non loin de Whitechapel, la police trouve le cadavre mutilé d’une femme : Mary Ann Nichols, dite Polly. C’est le début d’une série de plusieurs  meurtres dont cinq “canoniques”, terme qui désigne les crimes réalisés par Jack l’éventreur lui-même et non un imitateur. Qui se cachait derrière ce pseudonyme et comment est-il devenu un mythe ?

Un tueur maniaque

Le pseudonyme de Jack l’éventreur est employé présumément par le tueur lui-même. C’est en effet dans une lettre du 28 septembre 1888, envoyée après déjà deux meurtres, que ce nom apparaît pour la première fois, signé en lettres de sang. Cependant, cette lettre pourrait avoir été écrite par un journaliste en quête de retentissement médiatique et non par le tueur lui-même. Ce qu’on sait de lui, vient de l’analyse de ses crimes et de son mode opératoire, qui permet de déterminer son profil psychologique.

C’est le 9 novembre 1888 que la police, par l’intermédiaire du médecin légiste Thomas Bond, se livre à une analyse approfondie. En effet, ce jour-là Jack fait sa cinquième et dernière victime “canonique” en la personne de Mary Jane Kelly. La particularité de ce meutre est qu’il a lieu en intérieur et le tueur a  donc tout le temps de s’adonner à ses mutilations. Celles-ci, sont récurrentes sur ses quatre victimes précédentes: toutes retrouvées amputées sauf une, Elizabeth Stride. Elle est assassinée le 30 septembre la gorge tranchée, le corps non mutilé sûrement car le tueur est dérangé avant de pouvoir finir ses exactions. D’autant plus que le même jour, il fait une autre victime : Catherine Eddowes, qui elle, est retrouvée mutilée. Le rapport de police mentionne: “le rein gauche et une grande partie de l’utérus arrachés”. Cela corrobore la théorie selon laquelle, durant le meurtre d’ Elisabeth Stride, le tueur n’a pas eu le temps de terminer sa sauvagerie.

L’assassin sans visage

Le rapport de Bond livre une analyse scientifique: dans son autopsie de Mary Jane Kelly, il fait état de son visage “tailladé jusqu’à l’os”, de ses seins “découpés”, de sa “peau des cuisses arrachée”, de son “abdomen incisé” et enfin de ses “organes dispersés dans la pièce”. Pour lui, pas de doute possible : il faut rapprocher ce crime des quatres précédents, la violence étant très similaire.

Il ouvre aussi la piste de l’analyse psychologique du tueur : il désigne un boucher ou un équarrisseur, en somme un “homme du peuple”. Le tueur est décrit comme “un homme ordinaire, solitaire sujet à des pulsions meurtrières et sexuelles”. Sans le savoir, il vient d’expliciter un concept moderne, celui de tueur en série.

Entre septembre et octobre 1888, la police arrête près de 80 suspects , interroge 2000 personnes et en fait suivre 76 autres. Ce dispositif est conséquent et notamment encouragé par la Reine elle-même. Mais aucun des suspects arrêtés ne correspond à la description des témoins et le tueur, quant à lui, continue les meurtres jusqu’au 9 novembre.

La fin de l’Eventreur

Après la mort de Mary Jane Kelly, c’est la fin des meurtres “canoniques” de l’éventreur. La liste des suspects ne cesse de s’allonger mais les crimes semblent s’être arrêtés. Différentes hypothèses existent sur la question: il est possible que le coupable fasse partie des suspects arrêtés après novembre 1888, ou encore qu’il soit interné en psychiatrie. Cela n’exclut pas non plus la thèse d’un suicide, que certains soutiennent, mettant en avant le caractère auto destructeur du criminel.

Le 20 décembre 1888, Rose Mylett est retrouvée étranglée, mais sans trace de lutte. L’hypothèse du meurtre est donc difficile à prouver. De plus, cela ne correspond ni au mode opératoire de l’éventreur ni à sa zone géographique de massacre, puisque Mylett meurt dans le quartier de Poplar (4 km plus à l’est des autres meurtres).

Du criminel à la légende

Le mythe de Jack l’éventreur, aujourd’hui, appartient à la culture populaire. Et la diffusion massive du récit dans la population au moment même de l’affaire y contribue fortement. La presse, pionnière de ce mythe, met en scène le criminel et rend public à la fois les progrès de l’enquête et les théories de la police. Ensuite, c’est la population elle-même qui se rallie au mouvement de diffusion, s’intéresse à l’enquête et transmet de bouches à oreilles ce récit. Cette histoire a inspiré des romanciers, à commencer par Sir Arthur Conan Doyle. Ce n’est pas un hasard si l’auteur britannique publie un an après l’affaire, en 1899, Le signe des quatre, le premier roman mettant en scène le détective Sherlock Holmes.

C’est ensuite grâce au cinéma que Jack s’ancre dans la mémoire populaire : par exemple dans From Hell, d’Albert et Allen Hugues, film de 2011 dont le titre est le même que celui d’une lettre hypothétiquement envoyée par l’Éventreur. Le mythe se répand même dans la bande dessinée ou encore, plus récemment dans les jeux-vidéos. On voit donc bien que le mythe se fonde précisément sur le fait que le tueur reste anonyme, en effet un tueur sans nom est une source d’inspiration intarissable et permet d’imaginer énormément de scénarios.

La véritable identité  de Jack l’éventreur

Étudions ici certaines des différentes hypothèses réalistes sur l’identité de l’éventreur. D’une part, la théorie du suicide : le tueur est John Druitt, jeune homme de 31 ans, sur lequel Scotland Yard porte des soupçons à l’époque des faits. D’autre part, si l’on croit Russel Edwards qui s’appuie sur des analyses ADN menées en 2007, le criminel est Aaron Krominski, barbier polonais émigré à Londres et interné quelques mois après les faits.

D’autres pistes subsistent, mais en définitive, il convient au lecteur d’en juger : la vraie identité de Jack n’a pas réellement d’importance. Car, en prenant un peu de recul sur l’affaire, cette histoire n’est pas celle d’un tueur anonyme élevé au rang de légende. Ce n’est pas non plus celle de cinq femmes assassinées par un tueur en série. C’est  plutôt l’histoire de “deux nations” comme l’écrit Disraeli (homme politique et sociologue britannique), deux nations qui ne se comprennent pas. La première nation élitiste est effrayée par la seconde populaire : elle la croit aux mains des anarchistes et des communistes, et ne s’y intéresse que si un tueur en série la massacre.

 

Crédit image : Une illustration du journal britannique The Illustrated Police News présentant la découverte du corps de Catherine Eddowes– 4ème victime de Jack l’éventreur assassinée le 30 September 1888– à Mitre Square, une place de l’East End londonien, 6 October 1888, Royaume-Uni, Domaine public

Pour aller plus loin

Hallie Rubenhold, The five, the untold lives of the women killed by Jack the Ripper;2019, Black swan

Jean Viviers, Jack l’éventreur premier “cold case” de l’histoire? ;2025,The Conversation.com

Roland Marx, L’énigme Jack l’éventreur; 1983, Revue 62

Roland Marx, 1888, Jack l’Éventreur et les fantasmes victoriens; 2007,Bruxelles

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