D’où vient l’expression « aller à Canossa » ?

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           Reddition sans conditions, voici une maxime millénaire devenue synonyme d’humiliation et d’aveu de faiblesse. Retour sur la mécanique d’un affrontement qui a redéfini les équilibres du pouvoir en Occident.

Winter is coming

Hiver 1077, un grand conflit oppose le roi des Romains Henri IV à l’ambitieux pape Grégoire VII. À cette même période dans le Saint-Empire romain germanique, l’autorité royale s’appuie largement sur les évêques. Héritage du système ottonien puis renforcé sous les Saliens depuis Conrad II (1027-1039), ces prélats exercent des fonctions spirituelles mais aussi politiques. Ils administrent des territoires, rendent justice et soutiennent le souverain. Ce partage des pouvoirs favorise les abus et renforce la volonté de réforme perceptible dès le pontificat de Léon IX (1049-1054). Grégoire VII, élu en 1073, entend libérer l’Église de la tutelle des princes et affirmer la libertas ecclesiae (la toute-puissance de l’Église) en s’appuyant sur le droit canonique.

J’me présente, je m’appelle Henri

Henri IV, élevé dans un Empire où la stabilité du pouvoir dépend de ces évêques, refuse cette remise en cause. La rupture est définitive en 1075 lorsqu’il soutient l’élection d’un archevêque à Milan contre le candidat défendu par les partisans de la réforme. Grégoire VII condamne cette intervention, toujours dans cette querelle spirituelle. En réponse, Henri IV réunit les évêques qui lui sont fidèles à Worms en 1076. Il déclare le pape déposé. Le pontife réplique par l’excommunication. Une partie des princes saisit alors l’occasion pour contester l’autorité royale et menace d’élire un nouveau roi si Henri IV ne se réconcilie pas avec Rome.

Aller à Canossa

Contraint, Henri IV traverse les Alpes en plein hiver pour obtenir la grâce papale. Grégoire VII se trouve alors au château de Canossa, chez Mathilde de Toscane, comtesse (margravine) de Toscane et alliée de premier plan du Saint-Siège. Le roi attend plusieurs jours devant la forteresse jusqu’à ce que le pape accepte de lever l’excommunication. Ce geste anormal et spectaculaire marque durablement les esprits. Le souverain est contraint de se soumettre pour conserver son trône, traduisant la puissance du pouvoir spirituel.

Pax et caritas ?

La paix est illusoire. Les princes élisent Rodolphe de Souabe comme roi rival, entraînant une guerre civile. En 1084, Henri IV entre finalement à Rome, se fait couronner empereur par l’antipape Clément III, usurpateur nommé par Henri IV et contraint Grégoire VII à l’exil. Le conflit, nourri par les luttes internes de l’Empire, se prolonge jusqu’à la déposition d’Henri IV par son fils Henri V en 1105. Henri IV meurt d’épuisement et de maladie l’année suivante. Ce n’est qu’avec le concordat de Worms signé en 1122 que la querelle se clôt, en distinguant clairement l’investiture religieuse des prérogatives politiques du souverain.

L’expression se popularise au XIXe siècle, lorsque Bismarck proclame que l’Allemagne n’ira pas à Canossa. Bismarck, en 1872, se sert de l’épisode de Canossa pour déclarer qu’il ne s’abaissera pas devant le Pape Pie IX, affirmant la suprématie de l’État dans le contexte du Kulturkampf. Preuve que l’épisode d’Henri IV demeure un repère politique encore mobilisé des siècles après.

 

Crédit image : Henri IV faisant pénitence à Canossa, lithographie anonyme, 1882.

Pour aller plus loin :

The Investiture Controversy: Church and Monarchy from the Ninth to the Twelfth Century, Uta-Renate Blumenthal, University of Pennsylvania Press, 1988.

Mathieu, I., & Pécout, T. (éds.). (2024). Un Moyen Âge en partage. Rennes: Presses universitaires de Rennes. Consulté à l’adresse https://books.openedition.org/pur/236173

Boucheron, P., & Gioanni, S. (éds.). (2015). La mémoire d’Ambroise de Milan. Paris: Éditions de la Sorbonne, Publications de l’École française de Rome. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.29268

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