Aux origines de Dracula, Vlad l’Empaleur

  • Publié
  • 6 minutes de lecture

        Dracula, figure emblématique du roman de Bram Stoker, incarne cette terrible créature qui reflète l’attrait du public anglais de la fin du XIXe siècle pour le morbide et les pulsions interdites. Être de la nuit, envoûtant et insaisissable, l’écrivain tient son inspiration d’un véritable prince, Vlad l’Empaleur. 

Vlad Draculea, prince de Valachie

Pour comprendre d’où vient Dracula, il faut remonter plusieurs siècles en arrière. En 1453, Constantinople vient de tomber aux mains des Ottomans : leur pression sur l’Europe s’intensifie, et leurs troupes menacent les rives du Danube, dernière frontière du monde chrétien. De l’autre côté du fleuve s’étendent trois principautés : la Moldavie, la Transylvanie et la Valachie. Chacune convoitées pour leurs richesses naturelles par la Pologne, la Lituanie, la Hongrie et bien sûr, l’Empire Ottoman.

C’est au cœur de la principauté de Valachie que se situe cette histoire, rongée par les querelles internes entre bourgeoisie et noblesse et par l’instabilité politique qui voit se succéder les voïvodes, souverain de la principauté. C’est dans cet atmosphère que surgit la figure de Vlad III, plus connu sous le nom de Vlad Țepeș, dit « l’Empaleur » ou également connu sous le nom de Vlad draculea. Ce surnom, que B. Stoker reprendra, n’a pourtant pas d’origine sinistre, Draculea signifiant simplement « fils du dragon ». Son père, Vlad II, avait été décoré de l’ordre du dragon « dracul ».

L’histoire de Vlad l’Empaleur, mêle étroitement histoire et légende. On l’accuse d’avoir pillé et massacré ses opposants en les empalant de manière particulièrement cruelle. Il aurait arrondi la pointe des pals et les auraient enduites de graisse pour faire durer le supplice. Le pal était ensuite enfoncé à divers endroits du corps de la victime. Certains récits affirment même qu’il appréciait dîner devant ces victimes empalées et goûtait à leur sang. Il fut également accusé de brûler vifs les pauvres et d’autres malheureux jugés inutiles.

Légende noire ou mensonge politique

Lorsque les Ottomans franchissent le Danube, Vlad, à la tête d’une armée bien inférieure à celle du sultan Mehmet II, choisit la ruse. Il mène des attaques nocturnes contre les camps ennemis, les transformant en véritables scènes de carnage et de champ de corps empalés. Vlad III accumule alors gestes sanglants et actes jugés sacrilèges, mais qu’en est-il réellement de ces accusations ? En vérité, les sources historiques concernant le règne de Vlad Țepeș demeurent fragmentaires. Les sources permettent d’affirmer qu’il affronta les armées ottomanes en 1462, après avoir refusé de payer le tribut exigé par le sultan. Redouté de ses ennemis, il est considéré comme la terreur des Ottomans. Les troupes turques ne parvinrent jamais à conquérir du territoire en Europe durant ses six années de règne, se contentant seulement de butin ou de prisonniers.

En Europe occidentale, Vlad III était perçu, non pas comme un tyran, mais comme un prince héroïque, défenseur du monde chrétien face à la menace ottomane. Son autorité lui permit également de favoriser le développement économique de la Valachie, en protégeant les marchands roumains contre les monopoles des marchands allemands, et Vlad s’efforça de préserver l’indépendance de son pays face aux ambitions hongroises. Il développa même une armée permanente et installa sa cour à Bucarest, qui demeure aujourd’hui la capitale de la Roumanie. Il fut également salué par l’Église pour avoir consolidé la foi chrétienne, notamment en faisant édifier plusieurs églises.

En réalité, la légende noire de Vlad l’Empaleur — celle d’un prince cruel et démoniaque — fut construite de toute pièce par le roi de Hongrie Mathias Corvin, son ancien allié. Celui-ci voyait d’un mauvais œil la montée en puissance de ce prince voïvode, dont les incursions contre les Ottomans mettaient en péril les intérêts commerciaux hongrois. C’est pourquoi en 1462, Mathias Ier accusa Vlad de trahison, prétendant qu’il s’était allié aux Turcs contre le monde chrétien. Pour appuyer ses accusations auprès du pape, il fit rédiger de faux documents et fit circuler le portrait d’un souverain sanguinaire, cruel, presque diabolique. Ainsi naquit la légende noire de Vlad Țepeș Draculea.

Dracula au fil des siècles

Vlad fut arrêté par le roi de Hongrie en 1462 et emprisonné pendant plus de dix ans, avant d’être assassiné en 1476. La légende rapporte que son visage aurait été écorché et sa peau envoyée au sultan Mehmet II en guise de preuve de sa mort. Vlad III fut en réalité victime du développement de l’imprimerie en Europe, qui permit à son histoire sanglante de circuler rapidement en Europe occidentale. À l’inverse, en Europe de l’Est, la légende reste presque inconnue. Là-bas, Vlad est célébré comme le défenseur de la chrétienté contre les Turcs et le restaurateur de l’unité valaque.

Le rapprochement entre Vlad l’Empaleur et le vampire n’intervient qu’à partir du XIXe siècle. Le vampire, figure présente dans de nombreuses cultures, incarne un mort revenu hanter les vivants pour se nourrir de leur sang. Le mot lui-même se retrouve dans plusieurs langues slaves et n’apparaît en France qu’au milieu du XVIIIe siècle, époque où l’Europe voit se multiplier les récits et enquêtes autour de ces légendes venues des Balkans. C’est très probablement dans cette littérature que Bram Stoker décide de puiser ses connaissances sur le vampirisme, qu’il associe ensuite à la légende noire de Vlad l’Empaleur pour façonner son personnage de Dracula.

Le véritable règne de Vlad III est donc bien éloigné de celui d’un prince sanglant. Sa cruauté, amplifiée par les récits de  ses détracteurs, doit être relativisée, le supplice du pal était alors une pratique courante, utilisée par de nombreux souverains. Mathias Ier, en cherchant à ternir la mémoire de Vlad pour effacer son influence, forgea une image monstrueuse qui traversa les siècles. Ironie du sort, le nom de Vlad Țepeș, sali par la propagande, demeure aujourd’hui bien plus célèbre que celui de son rival. Dracula est devenu une figure intemporelle, oscillant entre la cruauté infernale et les drames romantiques, symbole d’un imaginaire où l’histoire et la légende s’entrelacent.

 

Crédit image : Portrait de Vlad Tepes au château d’Ambras. – Auteur inconnu (via Wikimedia Commons)

Pour aller plus loin

Bérenger, J. « Vlad ؒepeş (Vlad l’Empaleur) ». Revue historique, vol. 263, no 1 (533), Presses Universitaires de France, 1980, p. 206‑08.

Cazacu, Matei. Dracula. Tallandier, 2013.

Cazacu, Matei. L’histoire du prince Dracula en Europe centrale et orientale, XVe siècle. 2e édition, Librairie Droz, 1996.

Mathière Catherine. Mythe et réalité : les origines du vampire. In: Littératures 26, printemps 1992. pp. 9-23.

Ne manquez aucun article d'EnQuête d'Histoire !

Abonnez-vous pour recevoir chaque mois le récap des nouveaux articles publiés sur EnQuête d’Histoire !