La méfiance envers l’image trouve ses racines dans la pensée antique où, depuis Platon, celle-ci est perçue comme une illusion trompeuse déformant la vérité. Dans l’héritage biblique et judéen, toute représentation du divin au nom de la transcendance de Dieu est interdite. Ce modèle est progressivement adopté par le christianisme oriental. L’objectif est de démontrer sa fidélité à ses origines religieuses, marquant une première divergence avec l’occident.
Origines païennes, philosophiques et religieuses
Entre les VIème et VIIème siècles, l’image chrétienne acquiert à Byzance une place centrale dans la piété populaire. Les fidèles prient devant les icônes. Ils les touchent, les embrassent et les portent en procession, persuadés qu’elles établissent un lien direct entre le monde terrestre et divin. Ces représentations des saints, du Christ ou de la Vierge deviennent médiatrices du sacré et sont perçues comme investies d’une puissance protectrice.
Les icônes seraient aussi dotées de facultés : elles agissent, pleurent ou guérissent. Le problème est l’utilisation de l’objet matériel et son rapport à l’image. Par souci de représentation, on peut se questionner si l’on prie l’image ou bien le saint. L’aspect matériel n’est pas rejeté mais l’usage de l’objet comme support de vénération l’est. La réflexion théologique s’interroge sur la conciliation entre le culte des images opposé au monothéisme chrétien.
Cette tension entre piété populaire attachée aux icônes et inquiétudes doctrinales de l’élite ouvre la voie à une crise. Ferveur populaire et rigueur théologique s’opposent. De cette fracture naît la crise iconoclaste qui bouleverse l’Empire byzantin.
L’interdit de représentation
L’Empire byzantin connaît entre le Vème siècle et le VIIème siècle des querelles théologiques sur la nature du Christ. Des débats autour de questions telles que le monophysisme et le nestorianisme divisent la société byzantine, fragilisant l’unité religieuse. La nature du Christ, à la fois homme et Dieu, est un sujet central. Le représenter sous les traits d’un homme revient à nier sa divinité.
L’image apparaît progressivement comme une trahison au mystère de l’Incarnation (Dieu fait homme en Jésus-Christ). Elle réduit le concept de « Verbe fait chair » – de la Bible selon Jean, signifiant qu’il a pris une nature humaine, « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». (Jean, 1, 14) – à une apparence humaine et risque d’égarer la foi. Leur usage initial d’aides à la prière évolue en celle des objets dangereux, porteurs d’erreur doctrinale et éléments d’idolâtrie.
Du culte des images à la crainte de l’idolâtrie
Si le Ve siècle introduit les doutes, le VIIème siècle voit éclater une crise inédite. Les invasions arabes, les pertes territoriales en Syrie, en Égypte et en Afrique du Nord, et les défaites successives face aux Bulgares et aux Slaves affaiblissent un empire qui s’enrhume. Constantinople est assiégée à plusieurs reprises, un premier avertissement pour la survie de la capitale chrétienne orientale.
Dans ce climat de panique générale, le nouvel empereur Léon III, dit l’Isaurien (717 – 741) entreprend une réforme de grande ampleur à partir des années 725-726. La querelle des images en 730 est une réponse au surplus des images au sein du culte. Léon III redoute certaines croyances comme la poussière des icônes portant des vertus de guérison. Aussi, certains parents donnaient pour « parrain » une icône à leurs enfants. En réaction, les ordres de destruction se multiplient et les sanctuaires sont « épurés ».
Cette entreprise religieuse prend une dimension politique. Elle renforce l’autorité de l’empereur et redéfinit ses rapports avec l’Église. L’iconoclasme prend le rôle de sauveur de l’ordre spirituel mais aussi celui de garant d’un empire menacé.
Le dilemme de l’image du Christ
Léon III élabore une doctrine d’État fondée sur la réforme du culte. En interdisant les représentations du divin, l’empereur cherche à aligner Byzance sur les modèles monothéistes voisins – le judaïsme et l’islam – tous deux hostiles à l’image. Cette orientation répond à une double ambition. D’un côté, elle vise à rétablir la pureté du christianisme des origines, centré sur la Parole et non sur la représentation. De l’autre, elle renforce l’autorité impériale sur l’Église en soumettant la sphère religieuse à la volonté du souverain.
L’iconoclasme représente une arme politique. Il unifie les sujets autour de la figure de l’empereur, médiateur entre Dieu et le peuple, et prétend subvenir à la protection divine de l’Empire.
L’interdiction des icônes ne marque donc pas seulement une réforme religieuse, mais aussi une stratégie appuyée par la refondation du pouvoir impérial sur des bases spirituelles renouvelées. Cette politique inaugure un cycle de controverses et de conciles, dont les débats théologiques du VIIIème et du IXème siècle prolongent les enjeux d’autorité, d’orthodoxie et de légitimité nés sous Léon III.
En définitive, cette genèse de l’iconoclasme répond à un appel à l’aide de la société byzantine, malmenée sur le plan politique, religieux et gangrénée par les influences extérieures de ses voisins. Cette décision prise par Léon III permet de recadrer l’empire byzantin. Elle est enfin un instrument politique permettant de concentrer l’importance de l’image autour de l’empereur et l’empire, plutôt que sur le divin.
Crédit image : Église à la croix, photographie de l’abside, fresque datée du Xe siècle, Cappadoce (actuelle Turquie).
Pour aller plus loin
Bréhier Louis, Le monde byzantin : La civilisation byzantine, Albin Michel, 1950 et 1970. Disponible sur UQAM : https://classiques.uqam.ca/classiques/brehier_louis/civilisation_byzantine/brehier_civilisation_byzantine.pdf
Cheynet, Jean-Claude (dir.), Le monde byzantin II (641-1204), t.2, Presses Universitaires de France (PUF), 2006.
Cheynet, Jean-Claude, Histoire de Byzance, Que sais-je ?, 2009.
Ducellier, Alain & Kaplan, Michel, Byzance (IVe – XVe siècles), Hachette, 2006.
Herrin, Judith, Byzance : Capitale de l’empire, creuset de l’empire, Passés composés, 2023.
Kaplan, Michel, Byzance, Belles Lettres, 2007. Disponible sur Numérique Premium : https://www-numeriquepremium-com.ezproxy.u-pec.fr/doi/epub/10.14375/NP.9782251903408
De administrando imperio, chap. 21, cité par N. Omikos dans Encyclopédie byzantine, t. I, p. 199-209

