Aux origines de la peur du loup

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    Sous l’Ancien Régime, la population des campagnes est terrifiée par des séries d’attaques meurtrières de loups. De la lutte armée à la prière, comment les sociétés rurales font-elles face à cette menace ? À travers le célèbre exemple du Gévaudan, retour sur ce phénomène d’animaux mangeurs d’enfants.

Le 30 juin 1764, le corps à moitié dévoré de Jeanne Boulet est retrouvé à proximité de Langogne, petite commune de Lozère. La jeune fille de 14 ans, partie garder un troupeau de vaches, a été tuée par un animal sauvage. Elle est la première victime officielle de la bête du Gévaudan. Pendant trois années, entre juin 1764 et juin 1767, la bête sillonne le sud du Massif central. Elle commet près de 250 attaques qui coûtent la vie à une centaine de personnes. 

Encore célèbre de nos jours, l’affaire de la bête du Gévaudan doit sa renommée à une forte médiatisation. Le Courrier d’Avignon, principal journal de la région au XVIIIe siècle, relaie les récits des attaques ainsi que les témoignages des rescapés. Ses articles sont repris par la presse nationale puis internationale, et font le tour des cours royales européennes. 

La bête du Gévaudan n’est pas un cas isolé. À l’époque moderne, plusieurs régions françaises sont touchées par des séries d’attaques mortelles contre l’Homme. La bête de Touraine, qui sévit entre 1693 et 1695, aurait fait plus de 250 victimes. À travers l’exemple de l’affaire du Gévaudan, revenons sur ces monstres féroces qui ont terrorisé les campagnes de la France d’Ancien Régime.

Le loup anthropophage, d’animal à bête

Derrière ce qualificatif de “bête” se cache en réalité le loup. Au XVIIIe siècle, on en comptait entre 10 000 et 20 000 sur le territoire français, contre un petit millier de nos jours. Dans les espaces ruraux, l’Homme et le loup doivent cohabiter. Ce dernier reste un animal craintif de l’homme, qui s’en prend surtout au petit gibier et aux ovins. 

Mais dans des cas exceptionnels, certains animaux peuvent s’en prendre à l’homme : on parle aujourd’hui de loups anthropophages. Ils sortent alors de leur condition ordinaire et deviennent des bêtes au regard des autorités de l’époque. Selon l’historien Jean-Marc Moriceau, ces anthropophages seraient responsables d’environ un millier de décès entre la fin du XVIe siècle et la fin du XVIIIe siècle. En Gévaudan, les attaques sont imputées à au moins deux loups. Un premier a été tué en 1765 puis un second en 1767, qui marque définitivement la fin des exactions de la bête. 

Les enfants et les femmes représentent la majorité des victimes des loups anthropophages. Les enfants, en particulier, constituent des proies faciles. Entre 5 et 15 ans, ils sont souvent envoyés seuls garder les vaches, en lisière de forêt, parfois à plus d’un kilomètre du domicile familial. Après les premières attaques en Gévaudan, les plus jeunes surveillent les troupeaux en groupe et armés de bâtons ferrés. Ces mesures sauvent la vie du petit Jean Veyrier, âgé de 8 ans, secouru par les six autres enfants qui l’accompagnaient, alors que la bête l’avait saisi par le bras.

L’ouverture de la chasse aux loups.

Face à la menace du loup, les pouvoirs locaux mettent en place des mesures préventives. Des primes sont offertes pour chaque animal abattu, permettant une régulation du nombre d’individus. Lorsqu’une série d’attaques se déclenche, des récompenses conséquentes sont promises aux tueurs de la bête. L’affaire de la bête de Gévaudan est marquée par la mise en place d’une prime extraordinaire offerte par le roi Louis XV. Elle s’élève à 6 000 livres, ce qui équivaut à 20 ans de revenus d’un ouvrier agricole de l’époque. 

Les traques des bêtes sont menées par les seigneurs locaux, accompagnés de chasseurs. Dans les cas les plus extrêmes, la Louveterie du roi fait office de dernier recours. Composée de chasseurs professionnels, elle est chargée de l’élimination des loups. Louvetier du roi, François Antoine est envoyé en Lozère en juin 1765 pour chasser la bête du Gévaudan. Il parvient à tuer le présumé animal le 18 septembre de la même année.

La chasse de bêtes passe par la mise en place de battues. Elles consistent à faire marcher en ligne des hommes à travers les bois pour débusquer le loup ou sa tanière. En Gévaudan, cette technique s’avère peu efficace à cause du terrain fortement accidenté. François Antoine préfère alors utiliser des chiens pour traquer, puis rabattre la bête vers ses chasseurs. 

D’autres méthodes sont également expérimentées. Les cadavres sont empoisonnés puis laissés pendant plusieurs jours sous la surveillance de guetteurs, dans l’espoir que la bête revienne les dévorer. C’est finalement lors de battues impliquant des chiens que les deux loups officiellement responsables des attaques du Gévaudan sont tués. 

Symboles d’une punition divine.

Les attaques en série de loups déstabilisent profondément les populations rurales. Les bêtes sont perçues comme des punitions divines. À l’hiver 1764, l’évêque de Mende, chef-lieu du diocèse de la province, lance un appel à la pénitence pour mettre fin aux attaques de la bête du Gévaudan. En parallèle, de grandes processions et prières sont organisées pour apaiser la colère de Dieu. 

Ces épisodes traumatiques contribuent à l’association de la figure du loup à celle du diable dans l’imaginaire collectif des populations d’Ancien Régime. Pour se prémunir de l’animal, elles prient des saints protecteurs, comme Saint-Eustache, le patron des chasseurs. Elles ont également recours à des pratiques païennes. Accrocher une patte de loup à sa porte, ou porter une amulette comportant des dents ou des poils de loup, est censé éloigner les animaux féroces et autres mauvais esprits. Le Petit Chaperon rouge, écrit par Charles Perrault en 1697, prend alors dans ce contexte, la forme d’un avertissement pour les enfants des campagnes du royaume. 

Crédit image : Recueil factice de pièces relatives à la bête du Gévaudan recueilli par Gervais-François Magné de Marolles, 1765, Bibliothèque Nationale de France – RES 4-LK2-786

Pour aller plus loin

Jean-Marc Moriceau (dir), Vivre avec le loup ? Trois mille ans de conflit, Paris, 2014.

Jean-Marc Moriceau, La Bête du Gévaudan, 1764-1767. Mythe et réalités, Paris, 2021.

Charles-Eloi Vial, « La bête du Gévaudan et ses archives ». Revue de la BNF, 2018/1 n° 56, 2018. p.22-29.

Base de données de l’université de Caen : « L’homme et le loup 2 000 ans d’histoire » : https://mrsh.unicaen.fr/homme_et_loup/sources_actes_deces.php.html

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